De Gaulle

En salle le

4 mars 2020

De

G. Le Bomin

Avec

L. Wilson, I. Carré, O. Gourmet

Genre

Biopic (1 h 48)

Distributeur

JMH

Mai 1940. La guerre s’intensifie, l’armée française s’effondre, les Allemands seront bientôt à Paris. La panique gagne le gouvernement qui envisage d’accepter la défaite. Un homme, Charles de Gaulle, fraîchement promu général, veut infléchir le cours de l’Histoire.

Tu parles, Charles !

Avec « De Gaulle », le réalisateur Gabriel Le Bomin réussit un biopic original, captivant et parfois spectaculaire, où Lambert Wilson se livre à une impressionnante métamorphose.

Étrangement, Charles de Gaulle n’a pas souvent inspiré les scénaristes et les réalisateurs…

Gabriel Le Bomin : C’est vrai, aucun film de cinéma ne lui a jamais été directement consacré. Il y a bien eu quelques téléfilms, mais uniquement sur la période de sa traversée du désert, beaucoup de documentaires, mais pas de film de fiction au cinéma, même s’il apparaît parfois en silhouette ou en ombre, comme une sorte d’icône qu’on n’oserait pas aborder de face… C’est très étrange ! Les Anglo-Saxons, eux, ont sorti rien qu’en 2018 deux films sur Churchill qui, lui, est apparu dans dix-huit longs métrages et séries depuis les années 60. Et je ne vous parle pas des Américains qui ont maintes fois traité le sujet de leurs présidents et hauts dirigeants, de Lincoln à Obama en passant par JFK, Nixon, Bush et les autres… Ils ont la capacité à s’emparer de cette matière-là. Pas nous ! Alors devions nous y aller ? Etait-ce de l’inconscience ? En avions-nous la légitimité ? Nous avons finalement décidé de ne pas trop nous poser ces questions et de suivre notre envie, à partir du moment où cette histoire nous touchait et nous intéressait, en espérant qu’elle toucherait et intéresserait donc aussi les spectateurs. C’est quand même un moment assez incroyable de notre Histoire que nous montrons…

Qu’est-ce qui vous a donc amené à consacrer un film au de Gaulle de l’Appel du 18 juin ?

Je l’avais déjà rencontré ou croisé dans le cadre de mon travail de cinéaste,  notamment lorsque j’ai réalisé une série documentaire sur la France Libre. Je m’étais dit que c’était une période que je connaissais finalement assez mal. J’avais évidement des connaissances sur la Résistance intérieure, mais rien de très complet sur cette Résistance extérieure… De Gaulle était également présent dans mes documentaires sur la collaboration, sur la guerre d’Algérie, sur la Vè République dernièrement, et quand nous avons commencé à réfléchir à un sujet de film sur ce personnage historique avec ma coscénariste Valérie Ranson-Enguiale, nous sommes vite tombés d’accord sur le fait que nous ne pouvions pas raconter toute sa vie, car il y a plusieurs de Gaulle en un ! Ce qui nous a intéressés, c’est le de Gaulle « illégitime » : l’homme de juin 1940, celui qui dit « non ». C’est sans doute le moment de sa vie où il est le plus fragile, le plus captivant, donc le plus humain…

Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène très intime…

Absolument, on y voit Yvonne et Charles au lit, au réveil, comme tous les couples. Dans ses « Mémoires de guerre », il écrit pour parler de sa relation avec Yvonne : « Nous étions bien appuyés l’un contre l’autre ». C’est très beau. Ça veut dire que chacun tient et soutient l’autre… Je ne l’avais pas à ce point mesuré au début, et cette approche correspond sans doute à notre époque où la place des femmes est beaucoup plus forte, plus lisible. « De Gaulle » est un film que je n’aurais peut-être pas pu réaliser il y a dix ans. On m’aurait dit qu’Yvonne de Gaulle n’était pas un personnage assez intéressant… Or il me semblait important de montrer qu’à côté d’un grand homme comme Charles de Gaulle, il y avait aussi une femme qui était tout sauf transparente !

Votre film vire parfois un thriller, car au moment où il décide de partir à Londres, de Gaulle devient un traître, un fugitif aux yeux des autorités françaises, et il risque sa vie à tout moment.

C’est de cette manière que nous avons souhaité écrire ce récit : comme un film politique contemporain en racontant l’histoire de nos personnages au jour le jour. Or cette histoire est extrêmement dynamique à ce moment de leur vie et nous avons d’ailleurs dû faire des choix, alléger. De Gaulle a fait beaucoup plus d’allers-retours Paris-Londres que nous le montrons ! Il n’arrêtait pas de bouger en voiture, en avion, en bateau, mais Yvonne elle aussi se déplaçait sans cesse. Durant ces quelques semaines, elle quitte la maison familiale de la Boisserie à Colombey-les-Deux- Eglises en Haute Marne pour se réfugier chez sa sœur dans le Loiret avant de partir vers la Bretagne à Carantec puis à Brest où elle tente de monter à bord d’un bateau pour l’Angleterre… Mais durant ces itinéraires complexes, aucun des deux ne sait où est l’autre : quand Charles part à Londres le 17 juin, Yvonne l’ignore… Nous le montrons dans le film : c’est en lisant un journal anglais qu’elle apprendra que son mari a lancé son fameux appel sur les ondes de la BBC ! C’est un vrai cadeau de l’Histoire pour des scénaristes…

Et puis il y a le pur spectacle, avec entre autres le bombardement du port de Brest. Comment l’avez-vous reconstitué ?

Vous savez, je pars du principe qu’il est difficile de faire un film mais que ça doit être du plaisir. Alors ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contraintes, de conflits ou de douleur, mais il faut se lever le matin en se disant : « Quel bonheur d’aller sur le plateau » ! Le mot « jouer » n’est pas un hasard : faire du cinéma c’est jouer la comédie, donc s’amuser… Quant aux moyens dont vous parlez, je dirais qu’ils sont indispensables si l’histoire en a besoin. C’était le cas dans « De Gaulle » et j’avoue que c’était jubilatoire d’avoir tous ces figurants, des chars d’assaut, des avions ou des bateaux. Mais tout cela coûte de l’argent et j’ai été très vigilant à ne pas dépenser gratuitement ! Pour les figurants par exemple, j’ai même demandé à ce qu’on en mette moins car leur nombre ne se justifiait pas. La richesse d’un plan vient parfois de sa simplicité… Mais pour les scènes spectaculaires que sont celles de l’exode, du port de Brest et de l’arrivée à Falmouth, la production m’a donné tous les moyens dont j’avais besoin.

Le choix de Lambert Wilson pour incarner Charles de Gaulle a-t-il été évident dès le départ ?

Oui, absolument. Quand vous commencez à réfléchir aux acteurs qui peuvent incarner le personnage à cette époque-là, un homme de 50 ans, grand, avec de l’allure, de l’autorité et de la présence, les choses vont assez vite ! Ajoutez-y la notoriété du comédien qui doit rassurer les investisseurs, et la liste se raccourcit encore… Lambert a fait d’autant plus la différence qu’il a le goût de jouer des personnages romanesques et des figures de l’Histoire comme l’Abbé Pierre ou le Commandant Cousteau. C’est un acteur qui ne recherche pas forcément le naturalisme, il aime construire un rôle… Etant nourrit de cette tradition anglo-saxonne, il n’a pas peur de jouer avec son corps, avec les artifices. Lambert a beaucoup aimé chercher « l’incarnation » et collaborer avec les prothésistes et les maquilleurs durant les longues heures quotidiennes de sa transformation.

Et pour l’aspect vocal ? La voix de Charles de Gaulle est  immédiatement reconnaissable…

J’ai dit à Lambert que nous n’irions pas sur le terrain de l’imitation très maîtrisée. Avec un coach, il en aurait été capable, mais cela aurait  à mon sens empêché toute émotion. Il a bien entendu beaucoup écouté de Gaulle mais en cherchant son prononcé plutôt que son phrasé, notamment dans la scène du fameux discours du 18 juin 40.

Que retenez-vous au final de ce Charles de Gaulle que vous avez imaginé à ce moment précis de sa vie et de notre Histoire ?

Il reste une inconnue dont nous avons beaucoup parlé avec Lambert : qu’est-ce qui peut pousser un homme, avec ses limites et ses forces, à faire un choix politique et personnel aussi incroyable ? Alors que la France s’effondre, que l’ennemi occupe Paris, que le gouvernement demande la paix et accepte de travailler avec l’Allemagne, cet homme dit « non »… Et c’est homme-là estime aussi que la voix de la France sera désormais  la sienne, en demandant à ceux qui le veulent de le suivre… Est-ce de la folie ? De l’orgueil ? Du patriotisme ? Le sens de l’Histoire ? Une vista politique ? Je pense que c’est en fait la conjugaison de tout cela ! De Gaulle en parle formidablement dans ses Mémoires : il décrit à la fois sa grande fragilité et sa détermination totale. Il sait, il sent qu’il doit accomplir ce destin, même si à un moment il propose à d’autres d’être la voix de la France à Londres. Tous les historiens ont travaillé sur cette question, mais la réponse reste un mystère indicible : à ce moment, de Gaulle a fini par décider que cet homme-là, ce serait lui. C’est passionnant !

La famille de Gaulle a-t-elle été associée à votre film ?

Nous sommes partis des « Mémoires de guerre », des témoignages de Philippe de Gaulle et de ce que Charles et Yvonne s’étaient écrit, avec des lettres parfois très émouvantes basées sur des considérations très quotidiennes et personnelles. Puis nous nous sommes en effet posé la question d’approcher la famille de Gaulle… Mais nous voulions conserver notre libre-arbitre d’auteurs avec un point de vue critique nécessaire. Nous ne sommes donc pas allés voir la  Fondation Charles de Gaulle ou la famille, mais nous les avons informés dès le début en prenant contact avec les petits-enfants, Yves de Gaulle et Anne de La Roullière. Le film ne devait pas être une hagiographie ou se placer sur une tutelle quelconque, qu’elle soit familiale ou institutionnelle.