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Effacer l’historique

En salle le

2 septembre 2020

De

Benoît Delépine et Gustave Kervern

Avec

Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero

Genre

Comédie (1 h 46)

Dans un lotissement en province, trois voisins sont en prise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux.Il y a Marie, victime de chantage avec une sextape, Bertrand, dont la fille est harcelée au lycée, et Christine, chauffeur VTC dépitée de voir que les notes de ses clients refusent de décoller. Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet. Une bataille foutue d’avance, quoique..

Réveillez-vous !

Dans leur nouveau film, les trublions Benoît Delépine et Gustave Kervern tapent à bras raccourcis sur le tout-numérique qui dirige notre époque. Une comédie furieusement drôle, moderne, salutaire… Et inquiétante. 

« Effacer l’historique » est à la fois un “film post-Gilets jaunes” et une critique cinglante de l’ère numérique. Quelle était votre idée première ?

Benoît Delépine : C’est notre dixième  film avec Gustave, on forme un duo d’amis et de cinéastes, et en fait, on met nos vies dans nos films. On a commencé avec « Aaltra » en Picardie, chez moi, dans les champs, et le but, c’était d’arriver un jour chez Gustave, à l’île Maurice. Ça faisait plusieurs fois qu’on essayait sans y parvenir, et là, ça y est. Comme le scénario parle de la mondialisation folle, on s’est dit que c’était enfin l’occasion d’aller jusqu’à Maurice, avec cette illumination : l’homme est le dodo de l’intelligence artificielle [une séquence évoque le dodo, pigeon géant de l’île Maurice qui a disparu en raison des activités humaines]. Comme le dodo, l’homme croit être le roi du monde, n’avoir aucun prédateur pour le menacer, mais il a créé l’Intelligence Artificielle qui est beaucoup plus puissante que lui, et aujourd’hui, on voit les prémices de ce qui va nous arriver. On pressent que ça va mal finir.

Gustave Kervern  : Tous les jours, même avant de penser à ce film, on s’appelait, Benoît et moi, et on constatait qu’on était dépassé par les incroyables méandres de la vie quotidienne actuelle. Par exemple, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi je paye 60 euros pour mon forfait téléphonique alors que je vois partout des forfaits à 20 euros, et j’ai beau appeler, insister, on me répond que mon tarif est normal. On a sans arrêt l’impression gênante d’être les dodos de ce système.

BD : On n’a plus d’interlocuteurs, on parle avec des boîtes vocales toute la journée. La vie quotidienne est devenue une hallucination permanente. Pour faire nos films, on est souvent débordés par la réalité.

 

Le film tape très fort sur les absurdités technologiques de l’époque comme dans cette scène où le personnage joué par Blanche Gardin stocke ses divers identifiants et mots de passe dans son congélateur !

BD : Oui, on passe notre temps à refaire des mots de passe.

GK : Tu finis par mettre le même mot de passe partout avec le risque de te faire tout pirater d’un seul coup ! Puis il y a les indices de sécurité de ton mot de passe, alors il faut en refaire un plus compliqué et plus difficile à mémoriser…

BD : On vit dans un asile à ciel ouvert ! Et on n’a pas le choix, on ne peut plus dialoguer avec une personne humaine. Après, on s’étonne qu’il n’y ait plus d’emplois. Ben oui, il n’y a plus personne nulle part, alors pourquoi n’y aurait-il pas de chômage ? Et s’il n’y a plus d’emplois, pourquoi y aurait-il une retraite à 64 ans ? Tout est aberrant. Les gens sérieux qui réfléchissent à notre avenir savent qu’il y aura de moins en moins d’emplois, que les machines et les ordinateurs feront le boulot et qu’il n’y aura plus personne pour cotiser à la retraite.

Vous montrez qu’il est difficile de protester auprès de quelqu’un dans le monde technologique : le pouvoir y est diffus, anonyme, mondialisé, désincarné.

BD : On s’est documenté auprès de hackers. Le principe du cloud, c’est que les infos nous concernant sont réparties dans plusieurs endroits dans le monde. Mais il existe quand même un endroit physique où il est possible de supprimer une information, endroit généralement situé en Californie.

GK : Nos trois personnages sont perdus face au monstre numérique.

BD : Ils se sont rencontrés pendant le mouvement des Gilets jaunes, et heureusement qu’ils sont devenus amis et s’épaulent. Comment partir seul à l’assaut de pareille forteresse ?

GK : On parlait déjà de cette France périphérique dans Le Grand soir. Dans Effacer l’historique, on les voit isolés dans leur lotissement.

Cette solitude, cet isolement, était-ce pour vous l’essence du mouvement des Gilets jaunes ?

GK : Au départ, le film était centré sur un seul personnage, un Gilet jaune avant la lettre, en lutte contre tout ça, l’isolement, la précarité, la numérisation des services publics… Sauf qu’on a écrit une version juste avant que le mouvement ne se déclenche.

BD : Du coup, on a eu peur d’être soupçonnés de suivisme opportuniste.

GK : On a alors décidé de changer de sujet et d’écrire pour trois personnages principaux, qui ont chacun des problématiques différentes même si elles se rejoignent.

BD : On voulait aussi faire passer l’idée du collectif dans un monde de plus en plus individualiste, avec des outils électroniques qui font que les gens sont de plus en plus isolés.

GK : Notre actrice Corinne Masiero a vraiment pleuré pendant la scène située sur un rond-point. On savait qu’elle était partie prenante dans le mouvement des Gilets jaunes, mais on ne savait pas à quel point. Ça a été hyper important pour elle, ça lui a redonné confiance dans la faculté des gens à se mobiliser et à s’unir. Elle en avait marre des manifs qui ne menaient à rien et était au bord, elle aussi, du burn-out. Quand t’es Don Quichotte et que tu chasses les moulins à vent, au bout d’un moment, t’en as marre. Les Gilets jaunes lui ont redonné la pêche.

Le film montre que les fractures sociale, économique et numérique sont liées.

BD : Tout est lié ! Il y a quelques jours, j’ai présenté un de nos films dans le cadre d’un festival : « La Clef ». Voir un film ensemble en salle, ce n’est pas du tout pareil que de le voir seul chez soi sur un écran de télé ou d’ordinateur. C’est aussi pour ça qu’on filme beaucoup en plans larges : ce n’est pas à nous d’insister sur tel ou tel détail par un gros plan, c’est au spectateur d’explorer l’image. Et en salle, on vit ce moment-là ensemble. Alors que chez-soi, on est seul, et on paye pour cette société numérique qui nous isole.

GK : On peut penser ce qu’on veut des Gilets jaunes mais ce qui revient tout le temps, c’est que sur les ronds-points, les gens se sont remis à se parler, à se rencontrer, à retisser du lien social. Et ça, c’est énorme. Ils habitaient à dix mètres les uns des autres, mais ne se parlaient pas. Le film, c’est le regroupement de trois solitudes qui se côtoyaient en s’ignorant.

BD : Quand le personnage de Corinne Masiero se rend au site de VTC pour lequel elle travaille pour savoir pourquoi elle ne reçoit pas plus d’étoiles, on lui demande si elle veut plus de likes, d’amis. Elle répond : « Non, les amis ça va ». J’adore ce moment, ça veut dire qu’elle a des amis, des vrais. Dans le virtuel, avoir dix mille amis, c’est pareil qu’avoir zéro ami.

GK : Le numérique induit aussi la fermeture des services publics, chose qui se ressent plus dans les campagnes que dans les grandes villes. Ça devient difficile de trouver une poste, un médecin, un hôpital, il y a une désertification des services qui s’amplifie.

Bien qu’en difficulté économique, vos personnages ne sont pas dans la misère matérielle. Vous montrez que le mal-être contemporain ne touche pas que les plus pauvres. Ou que certains biens de consommation que le commerce moderne tient à nous fourguer ne rendent pas les gens heureux.

BD : Quand je retourne voir les gens dans mon bled, je les trouve aisés, comparativement à notre époque. J’ai grandi dans une ferme où le confort était minimal, où j’étais d’ailleurs très heureux. Aujourd’hui, dans ces zones pavillonnaires, ils ne sont objectivement pas dans la misère totale. Mais ils ont des crédits sur le dos.

GK :  Le lotissement où on a tourné est pas mal, voire mignon, les habitants y ont un certain confort. Par contre, on a remarqué qu’ils ne se parlaient presque pas. Ils rentrent chez eux, regardent la télé, il n’y a pas de vie collective.

BD : La misère de ces gens n’est pas économique mais existentielle. On a connu un type qui était matériellement bien installé, marié, enfants, pavillon, qui allait bosser à Paris et rentrait tous les soirs tard chez lui : il a fini par péter les plombs. Son temps de transport était trop long, ça faisait une vie débile avec trop de pression. Au bout de X années, il n’a plus supporté, et il s’est suicidé.

Dans une scène, une femme explique comment elle a craqué à cause de son addiction aux séries télé, assimilées à une drogue dure. Pour vous, les séries symbolisent aussi l’économie libérale et technologique ?

GK : Au départ, on disait que ce serait un film qui se passerait uniquement au téléphone. On nous demandait comment on allait filmer ça, on nous disait que ça risquait d’être chiant. Mais en fait, tout le monde est vissé sur son téléphone, même les vieux, j’en suis stupéfait. C’est une nouvelle addiction. Alors il y a les jeux vidéo pour les gosses et les ados, et les séries pour les adultes. Les séries aussi créent une addiction, on est bloqué chez soi sur son canapé, et on est content parce qu’on ne reprend pas sa bagnole pour sortir. Pompe à bière et écran géant, t’es chez toi et tu as ton bar et ton cinéma ! Et puis ce n’est pas cher… Du moins on croit que ce n’est pas cher, parce qu’au final, faut prendre trois ou quatre abonnements différents.

BD : Si tu fais le compte, tu passes six heures par jour sur les séries, ce qui ne fait pas cher au tarif horaire. Sauf que tu le payes cher dans ta tête, parce que t’es carrément en perfusion de séries. Le patron de Netflix a dit récemment que son véritable concurrent, c’est le sommeil. C’est quand même énorme ! Le concept de temps de cerveau disponible est dépassé par encore pire.

GK : Avant, on se parlait des films à la machine à café, maintenant on discute séries. Si t’as pas vu « La Casa de Papel » ou « Game of Thrones », t’es out, hors du coup. Ce qui est fou aussi avec Internet, c’est que tout le monde est noté sur tout, comme avec le personnage de Corinne. On note les restos, les taxis, mais le chauffeur aussi peut te noter si t’es un mauvais client. On se retrouve tous notés, surveillés, comme à l’école.

BD : Les notes, c’est aussi une manière de traquer les défauts pour les supprimer. Or nous ne sommes que défauts, c’est ce qui caractérise l’être humain. On était trop content de sortir de l’école, ce n’est pas pour y retourner ! Déjà, on te force à te normer par la scolarité, admettons, il faut bien apprendre à écrire, lire et compter. Mais si après, on continue avec des notes dans toute la vie adulte, non mais attends, ça va ! Quand tu vas crever, un esprit va te dire : “Je vous donne 2 sur 20 pour votre vie” ? Au secours !

Vous voyez « Effacer l’historique » comme un film comique, désespéré, ou simplement lucide ?

GK : Tragicomique. Nos films sont toujours un peu comme ça. Par exemple, je vois « Le Grand soir » comme une comédie alors que beaucoup de gens le trouvent très dur. Différents registres se mêlent dans « Effacer l’historique », et peut-être que la tragédie prend le pas sur la comédie, mais je trouve ça bien : ça veut dire que le fond l’emporte sur la forme.

 

L’INFO EN +

Chose rarissime pour une pure comédie, le film a obtenu l’Ours d’argent du 70è anniversaire au dernier Festival de Berlin.