
En salle le
23 septembre 2020
De
Christophe Blanc
Avec
Kacey Mottet-Klein, Andrea Magiulli, Anamaria Vartolomei
Genre
Drame (1 h 48)
Jack, 19 ans, Lisa, 17 ans, et Mathis, 10 ans, se retrouvent brutalement orphelins. Chacun réagit à sa façon à la catastrophe familiale. Lisa prend ses distances, Jack tout juste majeur se voit confier la garde de Mathis. Une nouvelle vie commence. Mais comment être responsable d’un enfant quand on est soi-même à peine sorti de l’adolescence ? Et comment se construire un avenir quand le passé devient une obsession dangereuse ? La force et l’énergie de la jeunesse peuvent faire des miracles…
Le seigneur des ados
Trois ados se retrouvent livrés à eux-mêmes à la mort de leur père dans ce film grave mais jamais plombant, irrigué par une magnifique énergie vitale. Une histoire qui vient de loin : celle de son réalisateur/scénariste Christophe Blanc.
D’où vient le film ?
Christophe Blanc : Il est en grande partie lié à mon histoire personnelle. J’ai mêlé la fiction au réel, au souvenir que j’en ai, mais dans les faits je suis devenu orphelin très jeune, mon père avait une vie parallèle et souterraine peu conforme à sa vie exposée, et sa mort violente a été pour moi un point aveugle obsédant. Il faut du temps pour prendre la parole. Aujourd’hui, je peux raconter cette histoire sans m’effondrer, ce qui n’était vraiment pas le cas il y a encore quelques années. Depuis longtemps, j’avais pourtant l’envie de faire un film sur la jeunesse et la mort, la confrontation au deuil. Non pas dans un rapport de violence ou de romantisme noir, mais dans une dimension beaucoup plus universelle. Celle que tout un chacun finira par croiser en perdant un proche. La différence est qu’au lieu de vivre ces sentiments adultes, mes héros les éprouvent alors qu’ils sont encore mineurs ou tout juste majeurs. À l’âge où l’on se découvre individu, où l’on a accès au bonheur de la liberté, ils percutent de plein fouet la tragédie. Le cœur du film est dans le choc de ces deux énergies. L’une belle et vivante, l’autre noire et violente. Plusieurs tentatives d’écriture sont restées inachevées. Et puis j’ai eu ce déclic : je me suis scindé en deux personnages. J’ai été Mathis, cet enfant de dix ans qui se découvre et se répare dans la photographie, et Jack, ce jeune adulte de 19 ans, obsédé par les raisons de la mort de son père.
Comment avez-vous trouvé l’étonnant Andrea Maggiulli, qui joue Mathis ?
Dès mon premier court métrage, j’ai donné des rôles à des enfants. J’avais aussi adoré tourner avec des ados un téléfilm pour Arte, « Une Grande fille comme toi », dont je gardais un merveilleux souvenir. Il y a chez les enfants un côté tout ou rien. Soit ils sont là, soit ils n’y parviennent pas. Soit ils sont justes, soit ils sont totalement artificiels. Il n’y a pas de demi-mesure. C’est pour cette raison que les castings d’enfants sont longs et laborieux. Ici, le rôle est dur, complexe, long. La palette de sentiments qu’il impose est extrêmement large. Je voulais un enfant singulier. Lorsque j’écris, il y a toujours un flou sur le physique des personnages, une indétermination. Cette écriture-là se fait au casting. Mathis aurait pu être un enfant sec, le hasard a fait qu’il est tout en rondeur, sans que cela devienne un sujet au sein même du film. Sans être un pur enfant de la balle, Andrea Maggiulli a une vie qui n’est pas tout à fait celle de tout un chacun. Son père, Francis Maggiulli, est un chanteur, sa sœur a posé plusieurs fois pour Nan Goldin. Cette dimension a certainement joué dans son aisance face à la caméra. Andrea a une vraie photogénie et une richesse d’invention très forte dans le jeu. Il a en plus une qualité exceptionnelle, assez rare même chez les adultes : il est capable de jouer juste sans s’oublier. Je prends un exemple trivial : s’il a envie de se gratter le cou, il se gratte le cou. Chez la plupart des acteurs, cette attention à soi-même disparaît ou existe sous forme de béquille. Chez lui, la présence de la caméra ne contraint jamais le naturel.
Et Kacey Mottet-Klein ?
C’est une idée qui s’est imposée assez vite. Kacey est acteur depuis l’âge de dix ans. Notamment chez Ursula Meier qui l’a découvert. Enfant et encore très jeune, il a toujours été un « fils de ». Fils de Léa Seydoux, de Virginie Efira, de Kad Merad, petit-fils de Catherine Deneuve… Dans « Just Kids », les parents ne font plus partie de la photo. Kacey était attiré par cette exposition directe. Et pour ma part, je trouvais qu’être délesté de ses parents, protecteurs à double titre, par leur personnage et leur statut de vedette, rendait Kacey idéal pour le rôle, proche de Jack. Kacey est un acteur exceptionnel. Il a besoin d’aller puiser dans des sentiments puissants ; s’il en fait l’économie, il a l’impression de ne pas être là, de déjouer, d’être insincère. C’est un acteur à fleur de peau à qui on aimerait répéter : « Fais-toi confiance », « Crois en toi. ». Le personnage de Jack résonne fortement avec Kacey. Et cette résonance, il l’a prise de plein fouet, à bras le corps.
Le film se distingue par un souci visuel permanent…
Avec ce scénario, la voie la plus commune aurait été de faire un film purement naturaliste. Je voulais m’écarter de ce chemin que j’ai déjà emprunté avec « Une Femme d’extérieur » par exemple. Je tenais à un style qui rompe avec cette évidence un peu facile. Avec Noé Bach, mon chef opérateur, on a beaucoup travaillé l’aspect plastique du film. Sans être storyboardé, il a un découpage très précis pensé en amont. Il est l’inverse d’un film tourné caméra à l’épaule et défini au montage. La forme produit ici directement du sens et des sensations. Des sensations de vertige, de violence, de rêve, de fantasme, mais aussi d’abandon, de langueur, d’apaisement même passager. Je définirais le film comme un « mélo teen-movie ». Étymologiquement, le « mélodrame » mêle intimement la musique au drame. Je n’ai pas investi tous les codes du mélodrame, comme par exemple l’invraisemblance des situations, mais j’ai été attentif à jouer avec l’exacerbation des sentiments, les élans émotionnels soulignés par la musique, un style marqué… La musique se devait d’être très présente et investie, d’où la violence du concert, d’où le lyrisme du final… Dans le mélodrame, il y a aussi quelque chose de l’ordre du flamboyant, du « bigger than life.
Une énergie que vous avez également donnée au tournage ?
Oui, cette énergie doit se retrouver sur le plateau. On s’en doute, elle est en grande partie insufflée par le réalisateur. Il y a des plateaux silencieux, des plateaux bavards, martiaux, ou au contraire totalement bordéliques. Ici, le plateau était jeune, donc un peu rock. « Just Kids » est un film dont les personnages principaux sont très jeunes. J’ai 50 ans passés, mais je ne voulais pas fabriquer le film exclusivement avec des gens de ma génération, d’une certaine façon « installés ». Pour être brutal : un film de jeunes avec des vieux techniciens. Je voulais la jeunesse aussi derrière la caméra. C’est le premier long métrage de mon chef opérateur, Noé Bach, de ma première assistante, Baladine Ardant. Beaucoup de techniciens ont peu ou pas du tout l’expérience du long. Ce n’est pas du jeunisme à tout prix. Pour la chef déco, Aurette Leroy qui a à peu près mon âge, c’est aussi son premier long. Je tenais à une forme de virginité, d’appétit. Donner les clés du camion à la jeunesse a enrichi le film. Un technicien installé peut avoir la tentation – je l’ai éprouvé – de vous renvoyer sans cesse au budget : « Avec ce qu’on a, on ne peut pas faire ça, il faut se contenter de ça, etc. » La jeunesse a des défauts, mais pas celui-ci, pas celui de l’économie, et quand je dis « la jeunesse », on l’a compris, je ne parle pas seulement d’âge. Il y a aussi la relation de l’équipe aux comédiens. Ça me plaisait de sentir une vraie intelligence entre eux. L’énergie d’une équipe est suffisamment en contradiction avec celle des acteurs pour ne pas creuser un peu plus ce fossé.
Vous vous êtes réservé le rôle du père, qu’on aperçoit sur des photos et dans une scène de cauchemar…
Oui, je trouvais que c’était bien que je me « mouille » un peu. Cette histoire étant en partie la mienne, je ne me voyais pas seulement derrière la caméra. Ce que je demande aux acteurs est fort, violent, perturbant. Je ne me voyais pas les laisser seuls et demeurer à l’abri, même si ce que je fais est minime. C’est symbolique, mais ça existe. C’est tellement dur d’être acteur. C’est aussi cathartique me concernant. Je savais que je pouvais endosser sans défaillir le rôle du père qui va finir sous un train, comme mon père l’a fait. Il est si difficile d’apaiser tout ça. Ce film est pour les enfants blessés, réellement blessés, celles et ceux qui l’ont été dans leur jeunesse. Il y en a beaucoup. Et ce film est fait pour dire qu’il existe un horizon.