Minuscule 2 – Les Mandibules Du Bout Du Monde

En salle le

30 janvier 2019

De

T. Szabo Et H. Giraud

Genre

Animation (1 h 32)

Distributeur

Praesens

Quand tombent les premières neiges dans la vallée, il faut préparer ses réserves pour l’hiver. Hélas, durant l’opération, une petite coccinelle se retrouve piégée dans un carton… à destination des Caraïbes ! Une seule solution : reformer l’équipe de choc !

C’est géant !

Les réalisateurs du formidable « Minuscule – La Vallée des fourmis perdues » ont mis les bouchées doubles pour nous offrir une suite encore plus réussie.

Pourquoi donner une suite à « Minuscule – La Vallée des fourmis perdues »?

Hélène Giraud : Dès la seconde saison de la série télé, nous voulions emmener l’univers de « Minuscule » en Guadeloupe. À cette époque, c’était un rêve inaccessible pour des raisons budgétaires, mais l’envie est restée. Et dès que notre producteur nous a proposé de faire une suite du premier long métrage, nous nous sommes dit que c’était le moment.

Thomas Szabo : Concevoir une suite est difficile : les spectateurs doivent retrouver ce qu’ils ont aimé dans le premier film, tout en découvrant de nouvelles choses. Il faut aussi, dès l’écriture, prendre en considération un public novice, qui n’aurait pas vu le premier film. Aller en Guadeloupe nous permettait de tout changer, d’avoir un nouvel environnement, un bestiaire inédit, tout en conservant les grands principes de « Minuscule ».

HG : Il nous semblait notamment important de conserver les personnages principaux du premier film, à savoir la coccinelle, la fourmi et l’araignée noire. Nous avons constaté que le public s’était attaché à eux, et je pense que les gens auraient été déçus de ne pas les retrouver.

Ce déplacement vers la Guadeloupe vous permet également de vous approprier les codes d’autres genres.

HG : Nous aimons articuler nos films autour d’archétypes narratifs très amples. Le premier volet relevait du film de guerre, avec quelques incursions vers le western et l’heroic fantasy. « Les Mandibules du bout du monde », lui, est un pur récit d’aventure, avec tout ce que ces intrigues charrient comme thématiques : les dangers et les plaisirs de l’exploration, le dépassement de soi, la rencontre avec l’inconnu…

TS : Nous cherchions à renouer avec le parfum des adaptations cinématographiques des aventures de Sinbad, celles qui bénéficiaient des effets spéciaux de Ray Harryhausen, comme « Le Septième Voyage de Sinbad » de Nathan Juran. Nous voulions faire voyager nos personnages suffisamment loin, pour qu’ils puissent basculer à un moment donné dans le fantastique, comme s’ils étaient amenés à franchir les frontières de leur propre réalité. Ce type d’expérience est aussi un poncif des récits d’aventures : quand nous avons écrit la rencontre des insectes avec les chenilles urticantes, nous pensions à la rencontre du héros d’ »Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, avec Kurtz, ce personnage étrange, reclus au centre de la jungle.

L’humain est beaucoup plus présent dans ce second film…

TS : Dans « La Vallée des fourmis perdues », nous avions tenté d’effacer au maximum la présence des humains. Quant à la série, nous ne montrions l’humain que de dos, ou nous ne le cadrions que jusqu’à la taille. Et surtout, les personnages humains ne réagissaient jamais aux actions des insectes. À l’inverse, dans « Les Mandibules du bout du monde », ces deux mondes, le majuscule et le minuscule, commencent à être un petit peu plus perméables, ce qui participe à cette volonté de pousser les limites de notre propre univers.

HG : Nous avons un peu tordu les règles de « Minuscule », mais en restant raisonnables. Par exemple, les humains ne parlent pas. Ils ne sont que dans l’expression corporelle.

TS : Nous avons d’ailleurs choisi les comédiens en fonction de leur timing comique. Il nous fallait des acteurs capables de jouer dans le registre du muet, ce qui est beaucoup plus difficile à faire qu’on ne l’imagine.

Cette volonté d’impliquer les humains a d’ailleurs un impact fort sur la mise en scène.

TS : C’est vrai que ce choix a imposé une nouvelle écriture, avec des mouvements d’appareil plus élaborés. Nous avons beaucoup plus de changements d’échelle : la caméra passe, en un seul plan, du niveau des humains au niveau des insectes. Ces transitions sont constantes dans le film, parce qu’il fallait que ces deux mondes soient reliés de façon très souple. Nous cherchons toujours à créer un univers global cohérent.

D’ailleurs, la mise en scène est nettement plus dynamique que dans « La Vallée des fourmis perdues ».

TS : Déjà, sur le premier film, nous tournions avec de grosses caméras relief, ce qui nous imposait d’être assez statiques. Ensuite, il restait dans la droite lignée de la série, qui était découpée en une série de vignettes fixes. Nous reprenions le vocabulaire du documentaire animalier en adoptant le point de vue d’un cameraman qui, caché au milieu des herbes, filmerait des insectes. Pour « Les Mandibules du bout du monde », nous avons voulu, avec le chef opérateur Dominique Fausset, nous émanciper de ces principes, sans non plus sombrer dans une forme totalement baroque.

Il y a un bond qualitatif entre les images de synthèse du premier film et celles du second.

TS : Parce que cette volonté de pousser plus loin ce que nous avions accompli sur le premier film s’est répercutée à tous les niveaux, y compris sur le rendu des images de synthèse. La décision du producteur de Futurikon de fabriquer le film à 100% en France a rendu possible ce bond qualitatif. La société The Yard, qui s’est chargée des effets spéciaux, a dépassé toutes nos espérances. Hélène et moi étions souvent éblouis en recevant les images : les scènes de tempête sont incroyables, le moindre accessoire a fait l’objet d’un soin maniaque, ils sont allés jusqu’à ajouter des grains de poussière dans les rainures du pont du galion volant en images de synthèse. L’un de nos plans préférés est celui dans lequel la neige tombe sur le bateau : chaque flocon numérique est différent et fond progressivement en touchant le pont du galion.

HG : Leurs équipes ont assuré un travail d’orfèvre. Nous avions un nouveau moteur de rendu, qui permettait de mieux travailler les matières et le caractère translucide de certains insectes. Il ne fallait pas que nous soyons trop réalistes, évidemment, mais je suis heureuse de l’équilibre obtenu. C’est notamment sensible avec la mante religieuse, dont le caractère translucide bénéficie d’une technique qui n’a été utilisée que par deux films pour l’instant : le nôtre et « Vaiana », des Studios Disney. L’autre nouveauté, c’est que nous avons pu employer la photogrammétrie : il s’agit de créer une réplique en images de synthèse d’un environnement, en le photographiant sous tous les angles. Le réalisme obtenu est alors total. Par exemple, quand les fourmis arrivent vers l’épicerie, nous passons, en un seul mouvement de grue, d’un plan tourné dans un village du Mercantour à un environnement intégralement en images de synthèse. Et cette transition est totalement indétectable. Nous cherchons toujours à lier les différentes techniques employées, que ce soit pour les extérieurs, les décors en studio, les maquettes ou l’image de synthèse. La photogrammétrie a été d’une grande aide sur ce point.

Malgré l’apport des technologies numériques, vous restez d’ailleurs toujours très attachés aux maquettes.

HG : Il faut garder en tête que « Minuscule » est à l’origine un pur projet d’artisans. C’est une série que nous faisions, Thomas et moi, quasiment seuls et avec très peu de moyens. Même si nous avons un budget un peu plus  conséquent pour les films, nous ne voulons pas perdre le caractère « fait-main » de la série. Les films doivent rester une version optimisée de ce que nous faisions à l’origine. En outre, je crois profondément que le cerveau reptilien du spectateur sait instinctivement si ce qu’il voit a une existence physique ou n’est qu’une image de synthèse. C’est aussi pour cette raison que nous aimons tant les maquettes.

TS : Par exemple, nous voulions absolument faire l’intérieur du requin en maquette, pour pouvoir travailler les transparences et obtenir tous ces petits accidents, ces micro-collisions avec l’eau qui bouge dans le fond du décor. Nous savions que ce décor ne serait pas totalement réaliste, mais ce côté artisanal confère au film un second degré qu’on adore. Rien n’est plus merveilleux qu’une belle maquette bien filmée.

HG : Et même quand nous avons des décors entièrement en images de synthèse, nous les avons travaillés pour retrouver la patine, le caractère très tactile des modèles réduits. Le galion a par exemple été fabriqué en maquette, avant que l’on en conçoive une version en images de synthèse.

Il y a une impressionnante variété de décors, de l’arbre des coccinelles guadeloupéennes à la grotte de l’araignée poilue, en passant par la jungle ou la plage.

HG : Pendant plusieurs semaines, nous avons sillonné tout l’archipel guadeloupéen pour tourner au cœur de la forêt, sur des plages sauvages ou dans des lieux très connus des locaux, comme la Cascade aux Écrevisses. Nous sommes retournés filmer dans le Mercantour également et à l’aéroport de Nice. Mais nous avons aussi énormément de décors construits de toutes pièces, et c’est pour cette raison que la période consacrée au design sur « Les Mandibules du bout du monde » a été bien plus importante que sur le premier film. J’ai travaillé intensément six mois avec quatre peintres conceptuels très talentueux pour créer tous ces environnements, mais aussi les nouveaux personnages.

TS : Nous avons aussi beaucoup plus de décors à l’échelle humaine, ce qui est une autre nouveauté pour nous. Notre chef décorateur, Franck Benezech, a construit en studio une épicerie avec la ruelle attenante, mais aussi un entrepôt, l’arbre des coccinelles et l’intérieur d’un sous-marin. Non seulement travailler en studio permet d’avoir un contrôle total sur sa mise en scène, mais ces décors donnent aussi à notre univers un léger décalage : nous sommes un peu à côté de notre réalité. C’est aussi pour cette raison que nous avons tenu à créer notre propre camionnette plutôt que de louer le premier utilitaire blanc venu. Cette estafette qui arrive à l’aéroport de Nice produit un choc graphique intéressant, comme si deux univers rentraient en collision. Tout le film est construit de cette façon d’ailleurs, avec un élément qui investit un environnement qui lui est étranger. Ce mécanisme esthétique me semble typique du récit d’aventure.

Comme dans le premier opus, vous continuez de travailler la psychologie de vos personnages.

TS : Les deux films sont aussi, quelque part, des études de caractères, ce qui n’était pas du tout le cas de la série. Et sur cette suite, nous cherchions à bousculer les acquis de nos personnages.

HG : Par exemple, nous voulions développer l’araignée noire, un personnage très étrange que l’on adore et qui semblait un peu nous échapper. Nous voulions la sortir de la maison de poupée où elle était cantonnée dans « La Vallée des fourmis perdues » et explorer son potentiel mystérieux. Elle reste une solitaire bourrue, mais elle aide un tout petit peu son prochain. Quant à la fourmi, elle n’est plus dans sa position de chef de troupe : elle est reléguée au rang de second de l’araignée et elle est, à ce titre, quelque peu malmenée. À nos yeux, ces épreuves la rendent encore plus attachante. Enfin, nous avons continué à faire grandir la coccinelle : nous la découvrions enfant puis adolescente dans le premier film. Cette fois, elle est confrontée à des problématiques de parent, jusqu’à faire un choix très courageux dans le dénouement.

Ce désir de travailler les personnages n’a pu se faire sans un gros travail d’animation.

TS : Nous avons beaucoup appris des personnages sur le premier film, et nous avons pu pousser leurs comportements, aller dans des choses très subtiles, grâce au travail du chef animateur de Futurikon Thomas Monti et de toute l’équipe de Supamonks Studio. Un tremblement d’œil, un petit déhanchement dans la posture… Mais il fallait rester dans les canons de « Minuscule », c’est-à-dire refuser l’anthropomorphisme, avoir des expressions très neutres et ne pas sur-animer nos personnages, comme c’est le cas de la plupart des films  en images de synthèse. Ce sont les situations et la mise en scène qui sont les principaux vecteurs d’émotion.