
En salle le
5 décembre 2018
De
JEANNE HERRY
Avec
SANDRINE KIBERLAIN, GILLES LELLOUCHE, ÉLODIE BOUCHEZ
Genre
Drame (1h47)
Distributeur
Frenetic
Théo est remis à l’adoption par sa mère biologique le jour de sa naissance. C’est un accouchement sous X. La mère à deux mois pour revenir sur sa décision…ou pas. Les services de l’aide sociale à l’enfance et le service adoption se mettent alors en mouvement.
Parents, mode d’emploi
Chronique magnifiquement réaliste et émouvante d’une adoption, le deuxième film de Jeanne Héry est une grande réussite.
Bien que très ancré dans notre société, le sujet de l’adoption est rarement abordé au cinéma. Pourquoi avez-vous choisi de vous en emparer ?
Jeanne Héry : Les films évoquent la recherche des origines, la quête de l’enfant, et parfois aussi celle de l’adopté pour retrouver ses parents plus tard, mais assez peu le moment où le bébé est remis à l’adoption. Le sujet est étranger à ma vie intime, j’ai eu deux enfants biologiques, mais j’ai une amie dont je suivais le parcours d’adoption. Je sortais de mon premier film « Elle l’adore », je travaillais sur une pièce de théâtre, je cherchais un sujet quand cette amie m’a laissé un message qui a tout déclenché. Elle me disait : « On m’a appelée, ils ont un bébé pour moi, un bébé français, je le vois dans quatre jours, si tout va bien, il est chez moi dans huit jours. » Le mélange d’euphorie et de panique dans sa voix était fascinant. Je me suis demandé pourquoi elle était surprise que ce soit un bébé, et un bébé français, et que les délais soient si courts. J’étais allumée de l’intérieur par sa façon de vivre l’événement. Je lui ai demandé la permission d’aller plus loin, de rencontrer les intervenants sociaux, étant entendu que je ne raconterais pas son histoire. Je suis partie dans le Finistère où j’avais un contact. J’y suis allée plusieurs fois, et j’ai compris que la tâche de ces travailleurs sociaux était de trouver des parents pour un bébé, pas de trouver un enfant pour des parents en manque : ça a été une révélation. J’ai trouvé des dispositifs de fiction intéressants dans la matière documentaire. Ces séquences de face-à-face, le fait de parler sans arrêt au bébé, car Françoise Dolto est passée par là, tout ce que je découvrais représentait de futures pépites de mise en scène.
Le processus d’adoption est d’une complexité peu connue…
Quand j’écrivais, je me disais : on a une équation simplissime, une femme qui ne veut pas de son enfant, et une autre femme qui veut un enfant. Maintenant, il faut nourrir, étoffer cette équation qui est belle et sèche comme un énoncé de logique. Et raconter tout ce collectif qui se mobilise et se met en branle pour rendre cette équation possible. Le film traite d’une addition de manques qui vont devenir un plus.
Pourquoi avez-vous offert le rôle principal à Sandrine Kiberlain, déjà vedette de votre premier film « Elle l’adore » ?
Je cherchais à retravailler avec elle. Elle m’inspire énormément. Il y a une rencontre évidente entre les mots que j’écris et la façon qu’elle a de les interpréter. Mais c’est difficile de combler une actrice à laquelle tous les rôles sont proposés…
Diriez-vous qu’elle est votre double ?
Une sorte de double amélioré de moi, un double idéal. C’est comme ça que je le vis. J’aime Sandrine dans des rôles comme celui-ci, une femme qui porte tout le monde. Solide, consciencieuse, précise, fantaisiste, drôle. Le bébé est porté par Gilles Lellouche, et Gilles est porté par Sandrine. Elle désire aussi, sans être désirée en retour.
Justement, pourquoi avez-vous accordé une telle place au personnage de Gilles Lellouche, un père qui pouponne ?
L’univers autour de l’adoption est déjà très, très féminin, j’ai donc choisi un bébé garçon et un assistant familial homme. J’avais rencontré un homme au cours de mes recherches, car le métier commence à se masculiniser. Mais j’ai raisonné en termes de cinéma, pas de « genre pour le genre ». Revisiter les gestes du soin apporté à un bébé en les faisant jouer par un homme, c’était stimulant, différent à filmer. Un homme, et si possible un homme un peu viril, qui a incarné une masculinité parfois « macho » au cinéma, c’était l’assurance d’un étonnement pour moi et le spectateur, d’une image forte.
Et pour Gilles Lellouche sans doute aussi… ?
C’est un corps, Gilles, épais, sensuel. Un bébé c’est charnel, et ça fonctionne entre eux. Et puis il n’est pas un assistant social, il est un assistant familial choisi par les gens du social. C’est l’homme du quotidien, que je me suis amusée à filmer en homme au foyer ; un idéal masculin solide, responsable, sérieux, drôle, dans un couple inversé, avec une femme qui travaille dehors, gagne de l’argent et qui l’incite à continuer à bosser, malgré ses états d’âme.
Malgré la gravité de son sujet et les nombreuses tensions de notre époque, pourquoi avez-vous choisi de faire de « Pupille » un film optimiste ?
Tous ces protocoles autour de l’adoption, je les ai trouvés fantastiques, avec un degré de civilisation et de pensée formidable. J’aime bien mon époque, mais il y a un peu d’hystérisation dans l’air. Les endroits où les gens pensent et font confiance au collectif me rassurent. Je me rends compte que le film regarde favorablement l’accouchement sous X. Celles qui remettent leur enfant le feraient de toute façon, seules et mal. Il y a donc dans ce dispositif un degré de civilisation remarquable, même si je sais la souffrance des pupilles qui se construisent sur un gouffre, un manque. Mais plus encore, c’est un film sur le triomphe du collectif. C’est un accélérateur de particules, c’est euphorisant de faire des choses ensemble, un film aussi bien qu’une réunion au terme de laquelle on trouvera une famille pour un enfant.
La réalisatrice Jeanne Héry