Si Beale Street Pouvait Parler

En salle le

30 janvier 2019

De

B. Jenkins

Avec

S. James, K. Layne, T. Parris

Genre

Drame (1 h 57)

Distributeur

DCM Films

Tish, dix-neuf ans, est amoureuse de Fonny, un jeune sculpteur noir. Elle est enceinte et ils sont bien décidés à se marier. Mais Fonny, accusé d’avoir violé une jeune Portoricaine, est jeté en prison. Les deux familles recherchent les preuves qui le disculperont.

L’après-« Moonlight »

Barry Jenkins, le réalisateur du sublime « Moonlight », évoque une nouvelle fois les difficultés d’être soi-même et d’aimer librement lorsqu’on est un Noir dans l’Amérique blanche.

Le scénario du film est tiré d’un roman de James Baldwin, un écrivain admiré pour son style, la force de ses intrigues et sa peinture du racisme anti-Noirs aux Etats-Unis…

Barry Jenkins : Ou. Je l’ai vraiment découvert avec « La Chambre de Giovanni » et « La Prochaine fois, le feu ». Ces livres m’ont permis de mieux comprendre ce qu’était la masculinité, et ce qu’était la masculinité noire. Je n’ai pas eu de révélation grâce à l’un de ses propos en particulier, mais plutôt grâce à la manière dont il s’exprimait et à la qualité des recherches qu’il menait quand il s’intéressait à un sujet. L’héritage qu’il nous a laissé est majeur et inestimable. James Baldwin est un auteur important parce qu’il disait la vérité. J’ai le sentiment que sa puissance tient en partie au fait qu’il touche beaucoup de gens. On peut tous être émus par les phénomènes qu’il évoque. On pourrait dire que son écriture est « universelle », mais je ne le formulerais pas ainsi. Ses livres étaient d’une grande force parce qu’il puisait son inspiration de plusieurs sources. Il a vécu à Harlem, en France, en Turquie, et ce parcours ponctué d’expériences multiples a donné lieu à un regard unique dont on peut seulement dire qu’il le caractérise.

Quand avez-vous découvert « Si Beale Street pouvait parler » ?

Vers 2009-2010. À cette époque, je me considérais déjà comme un fanatique de Baldwin, mais ce livre m’avait échappé. Quand je l’ai lu, j’y ai vu un potentiel d’adaptation pour le cinéma  : l’histoire d’amour entre Tish et Fonny était d’une grande pureté, d’une grande richesse, d’une grande vitalité. Le livre parle de plusieurs états amoureux et, notamment, de l’amour de deux Noirs dans le quartier de Harlem où Baldwin a grandi. Pour autant, il s’agit aussi, par certains côtés, d’un ouvrage contestataire. Et 2013, j’ai compris qu’il fallait que je parte à l’étranger pour écrire l’adaptation sous forme de script. Je tenais à rester d’une grande fidélité au roman et à transposer le sentiment que j’avais ressenti la première fois que je l’avais lu. Je suis allé en Europe cet été-là avec le peu d’argent que j’avais pu réunir pour écrire « Moonlight » – ce que j’ai fait à Bruxelles – et ensuite « Si Beale Street pouvait parler » – que j’ai écrit à Berlin.

Quels défis avez-vous rencontrés dans votre travail d’adaptation ?

Pour moi, la plus grande difficulté était de ne pas faire entrer en conflit la dimension politique et l’histoire d’amour. C’est un croisement entre deux pôles qui coexistent chez Baldwin. Il parlait dans ses livres d’un système répressif qui, en Amérique, menaçait l’intégrité et la pureté de l’amour de Tish et Fonny, et il nous donnait à voir ce qu’ils vivaient. Du coup, il a insufflé dans une histoire d’amour l’énergie qu’on trouve dans « La prochaine fois, le feu ».

Les « héros » du livre sont les deux jeunes amoureux, mais la mère de la jeune femme y occupe une grande place…

C’est juste. Dans le roman James Baldwin a vraiment mis en exergue le personnage de Sharon, la mère, parce qu’elle tente de protéger l’histoire d’amour de Tish et Fonny et l’enfant que sa fille s’apprête à mettre au monde. Elle cherche aussi à sauver les quelques liens qui subsistent entre les deux familles. Regina King, que j’ai engagée pour l’incarner, est capable de jouer toutes ces nuances, tout en montrant au spectateur qu’elle doit aussi se protéger elle-même. Sharon est toujours très forte pour son entourage, mais elle traverse aussi ces moments de quiétude solitaire où l’on ressent sa vulnérabilité et l’impact de cette charge qu’elle porte sur les épaules.

Comment avez-vous choisi les interprètes de Tish et Fonny ?

Je savais que, tout comme Regina King dans le rôle de Sharon, Teyonah Parris serait à même de jouer toutes les nuances du personnage d’Ernestine, qui est à la fois taquine et la grande sœur protectrice. Je voulais une comédienne généreuse pour le rôle de la fille de Regina, et Teyonah était la personne que je recherchais. Quant à Stephan James, je l’avais vu Stephan dans « Selma » et « La Couleur de la victoire », mais au départ je ne l’envisageais pas dans le rôle de Fonny. Et puis j’ai visionné son audition et je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’intéressant. Il en a enregistré une autre, et j’ai alors été convaincu qu’il pouvait camper le personnage. Étant donné qu’il s’agit d’une histoire d’amour, l’alchimie entre les deux comédiens était un critère déterminant dans le casting. Il fallait qu’on sente qu’il y avait une relation très pro- fonde entre eux, même s’ils n’étaient pas amoureux depuis longtemps.